Arrestation illégale et exclusion de la preuve: plus que de simples soupçons sont nécessaires
Le Juge Jacques Ouellet, de la Cour municipale de QuĂ©bec, a ordonnĂ© l’exclusion de la preuve obtenue suite Ă l’arrestation du dĂ©fendeur en vertu de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s, incluant les Ă©chantillons d’haleine prĂ©levĂ©s au poste de police, considĂ©rant que l’arrestation du dĂ©fendeur Ă©tait illĂ©gale car basĂ©e sur de simples soupçons. Ce jugement a Ă©tĂ© rendu le 12 septembre 2014.
Dans cette cause, les policiers interviennent suite Ă la rĂ©ception d’un appel d’un citoyen Ă l’effet que le conducteur d’un vĂ©hicule NĂ©on gris, avec trois personnes Ă bord, avait une conduite erratique.
ArrivĂ©e sur les lieux, ils remarquent une voiture grise dans le stationnement d’un commerce. Ce vĂ©hicule quitte le stationnement, fait un virage très large, empiète sur l’autre voie et circule Ă vive allure.
Suite à l’observation de ces faits, la policière décide d’intercepter le conducteur du véhicule afin de vérifier sa sobriété.
La policière remarque alors une forte odeur d’alcool provenant de l’haleine du conducteur, ses yeux sont vitreux et injectés de sang et son langage est lent (fait non inscrit au rapport de police).
Suite à la constatation de ces faits, la policière procède immédiatement à l’arrestation du requérant pour conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool.
Lors du contre-interrogatoire de la policière, celle-ci confirme que le véhicule conduit par l’accusé est un Toyota Écho (et non un Néon tel que mentionné dans l’appel reçu plus tôt) et qu’il y avait un seul occupant à bord (et non trois occupant tel que mentionné dans l’appel reçu).
Elle admet également que l’accusé a effectué convenablement l’arrêt obligatoire (stop) à une intersection et ne peut donner de précisions sur les paroles prononcées par l’accusé.
De plus, elle confirme que hormis une conduite plus rapide que normale et d’un virage large, la conduite de l’accusé n’était pas erratique.
L’autre policier, présent lors de l’intervention, corrobore les faits relatés par sa collègue et précise que le défendeur ne ralentissait pas beaucoup dans les virages et que ceux-ci étaient effectués brusquement. Il ajoute également que les paupières du défendeur étaient « lourdes » (fait non noté au rapport).
Lors de son témoignage, l’accusé explique que, vu la configuration des lieux, lorsque l’on quitte le stationnement du centre commercial « il faut en prendre plus large ».
De plus, il précise que, lorsqu’il est mis en état d’arrestation, il se sent tout à fait normal.
La défense plaide que la policière n’avait pas de motifs raisonnables lors de l’arrestation et demande donc l’exclusion de la preuve obtenue suite à cette arrestation qu’elle juge illégale.
QUESTION EN LITIGE
La question en litige dans le prĂ©sent dossier est de dĂ©terminer si, lors de l’arrestation, la policière avait les motifs raisonnables requis par le Code criminel pour mettre le requĂ©rant en Ă©tat d’arrestation?
La lĂ©galitĂ© de l’arrestation
Selon l’article 254(2) du Code criminel, « un policier peut ordonner Ă une personne de fournir les Ă©chantillons d’haleine nĂ©cessaires Ă la dĂ©termination de son alcoolĂ©mie, et Ă cette fin, procĂ©der Ă son arrestation dans la mesure oĂą il entretient des motifs raisonnables et probables de croire Ă la commission de l’infraction de conduite avec les capacitĂ©s affaiblies par l’effet de l’alcool. De simples soupçons ne suffisent pas.
Les raisons ou motifs de soupçonner permettent aux policiers d’ordonner Ă une personne de se soumettre Ă un test avec un appareil de dĂ©tection approuvĂ© (ADA) ou encore Ă se soumettre Ă des tests de coordination physique dans le but de leur fournir des motifs raisonnables de le mettre en Ă©tat d’arrestation. »
« Il y a donc une distinction importante à faire entre des soupçons raisonnables et des motifs raisonnables. »
Lors de l’évaluation de la suffisance des motifs raisonnables et probables, il est nĂ©cessaire de considĂ©rer l’ensemble des motifs.
La policière se devait donc de considérer l’ensemble des faits présents au moment où elle décide de mettre le requérant en état d’arrestation.
Tel que le juge l’indique dans sa dĂ©cision : « L’information obtenue du rĂ©partiteur peut thĂ©oriquement constituer un Ă©lĂ©ment Ă considĂ©rer dans l’Ă©valuation d’une situation. Toutefois, dans le prĂ©sent dossier, le modèle du vĂ©hicule, le nombre d’occupants et le fait qu’il ne soit pas en circulation diffĂ©raient de l’information reçue; l’utilisation de cette information commandait plus de prudence, puisque le lien entre cette dernière et la rĂ©alitĂ© observĂ©e Ă©tait fort tenu. »
Le juge dĂ©clare : « Il y a Ă©galement une diffĂ©rence entre l’apprĂ©ciation des motifs raisonnables de soupçonner de ceux des motifs raisonnables et probables de croire comme le mentionne la Cour suprĂŞme dans R. c. Chehil, prĂ©citĂ© :
« [27] Ainsi, bien que les motifs raisonnables de soupçonner, d’une part, et les motifs raisonnables et probables de croire, d’autre part, soient semblables en ce sens qu’ils doivent, dans les deux cas, ĂŞtre fondĂ©s sur des faits objectifs, les premiers constituent une norme moins rigoureuse, puisqu’ils Ă©voquent la possibilitĂ© — plutĂ´t que la probabilitĂ© — raisonnable d’un crime. Par consĂ©quent, lorsqu’il applique la norme des soupçons raisonnables, le juge siĂ©geant en rĂ©vision doit se garder de la confondre avec la norme plus exigeante des motifs raisonnables et probables. » »
Le Tribunal conclut donc que l’arrestation du dĂ©fendeur Ă©tait illĂ©gale car basĂ©e sur de simples soupçons.
Demande d’exclusion de la preuve
Le dĂ©fendeur est l’exclusion de la preuve vu son arrestation illĂ©gale.
Face à une telle demande, le juge se doit de considérer les éléments suivants :
1-la gravitĂ© de la conduite attentatoire de l’État;
2- l’incidence de la violation sur les droits du dĂ©fendeur garantis par la Charte;
3- l’intĂ©rĂŞt sociĂ©tal qu’une affaire de nature criminelle soit jugĂ©e sur le fond du litige.
Le juge déclare :
« Dans une dĂ©cision rĂ©cente de la Cour d’appel (LĂ©vesque Mandanici c. La Reine, 2014 QCCA 1517) l’honorable François Doyon s’exprime ainsi :
« [83] La bonne foi des policiers est un facteur important sous ce chapitre. Il ne faut toutefois pas confondre bonne foi et nĂ©gligence ou ignorance de la loi. Si l’ignorance de la loi n’est pas un moyen de dĂ©fense lorsqu’elle est invoquĂ©e par un accusĂ©, elle ne peut davantage constituer un moyen pour dĂ©montrer la bonne foi lorsqu’elle est invoquĂ©e pour justifier une arrestation. »
La policière ne pouvait faire abstraction des prescriptions de l’article 495 requĂ©rant l’acquisition de motifs raisonnables et probables de croire Ă une conduite en Ă©tat d’Ă©briĂ©tĂ©, ni non plus de la possibilitĂ© qu’elle avait, en cas de simples soupçons, d’utiliser l’article 254(2) de ce mĂŞme Code pour requĂ©rir des Ă©chantillons d’haleine Ă l’aide de l’ADA ou encore de soumettre le dĂ©fendeur Ă certains tests de coordination physique.
Eu Ă©gard aux circonstances, le Tribunal estime qu’elle a agi avec imprudence et n’a pas respectĂ© les droits du dĂ©fendeur garantis par la Charte. »
L’arrestation d’un conducteur ne peut être basée que sur de simples soupçons mais sur des motifs raisonnables.
Le juge Ouellet indique dans son jugement : « Dans notre dossier, les circonstances rapportĂ©es par la preuve, comportent une inconduite grave de la policière mĂŞme si elle n’Ă©tait pas dĂ©libĂ©rĂ©e. En effet, permettre l’arrestation de conducteurs sur la base de simples soupçons et non pas des motifs raisonnables conduirait, Ă la longue, Ă dĂ©considĂ©rer l’administration de la justice.
Pour reprendre les propos du juge Doyon dans LĂ©vesque Mandanici :
« [110] MĂŞme si la preuve est fiable et essentielle et que l’infraction est grave, la protection de la Charte s’applique aussi « à ceux qui sont accusĂ©s d’avoir commis les infractions criminelles les plus graves », comme le rappelle la juge en chef McLachlin dans Harrison, au paragr. 40.
[111] Dans ces circonstances, la mise en balance des facteurs pertinents m’amène Ă conclure que « l’importance de respecter les normes prescrites par la Charte l’emporte sur le prix Ă payer par la sociĂ©tĂ© pour un acquittement » (Harrison, paragr. 42). De mĂŞme, comme la Cour suprĂŞme le rappelle au paragr. 80 de Spencer, [2014] A.C.S. no 43, le public a Ă©galement intĂ©rĂŞt « à ce que le fonctionnement du système de justice demeure irrĂ©prochable au regard des individus accusĂ©s de ces infractions graves ». »
Le juge dĂ©clare donc que l’arrestation et la dĂ©tention du dĂ©fendeur illĂ©gales et contraire Ă la Charte canadienne des droits et libertĂ©s et ordonne l’exclusion de la preuve obtenue suite Ă l’arrestation du dĂ©fendeur, incluant les Ă©chantillons d’haleine.
Re: R. c. Bernier [2014] J.Q. no 11215
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