Droit à l’avocat de son choix et sans délai

L’importance du droit à l’avocat

Le 31 juillet 2018, le juge Vanchestein de la Cour du Québec rappelait l’importance du respect du droit à l’avocat par les autorités suite à l’arrestation de l’accusée dans une cause de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool et de conduite avec plus de 80 mg d’alcool par 100 ml de sang.

Droit à l’avocat de son choix et sans délai

Dans cette affaire, l’accusée présentait une requête en exclusion de la preuve des résultats de l’alcootest (certificat du technicien qualifié). Elle plaidait que l’agent ayant procédé à son arrestation n’avait pas respecté son droit à l’avocat car celle-ci n’a jamais eu l’opportunité de consulter l’avocat de son choix et n’a pu consulter « sans délai » un avocat, contrairement à l’article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés qui se lit comme suit : « Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention : b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit ; ».

Passage difficile au poste frontalier

Le 23 avril 2017, l’accusée et une amie se présente au poste frontalier de St-Armand après une journée passée à Burlington.

Une fois au poste frontalier, les agents de la douane canadienne les dirigent vers la fouille secondaire.

Lors de la fouille du véhicule, un des agents constate une odeur d’alcool dans l’habitable et remarque des verres sous le banc côté passager.

Odeur d’alcool et yeux injectés de sang

Suite à ces constatations, l’agent questionne l’accusée et détecte une odeur d’alcool provenant de l’haleine de l’accusée et note que cette dernière a les yeux injectés de sang.

Ayant les soupçons requis à l’effet que l’accusée a dans son organisme de l’alcool alors qu’elle a conduit son véhicule, il ordonne à celle-ci de le suivre afin de procéder à un test au moyen d’un ADA (appareil de détection approuvé).

Le test de dépistage est effectué à 21 h 09 et l’accusée échoue ce dernier.

Arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies

Suite à cet échec, l’agent frontalier procède immédiatement à l’arrestation de l’accusée pour conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool.

Il lui lit alors son droit à l’avocat et son droit au silence et, suite à cette lecture, lui demande si elle désire communiquer avec un avocat. L’accusée indique alors qu’elle désire effectivement communiquer avec un avocat.

L’accusée est transférée dans la salle de détention du poste frontalier après que l’agent eut procéder à l’inventaire de ses effets personnels et après avoir fait l’objet d’une fouille par palpation par une agente du poste.

L’agent fait alors un rapport à son surintendant et communique avec la Sûreté du Québec afin que des policiers de la Sûreté se présentent au poste frontalier afin de « récupérer » l’accusée et de la transporter à un poste de la Sûreté du Québec afin de procéder aux tests à l’aide d’un ivressomètre.

Droit à l’avocat

Ce n’est qu’après avoir effectué ces démarches que l’agent frontalier communique avec le service de l’Aide juridique afin que l’accusée parle avec un avocat.

À peine 4 minutes après avoir parlé avec un avocat de l’Aide juridique, l’accusée est transférée aux policiers de la SQ.

Lors du témoignage à la Cour de l’agent frontalier, ce dernier a admis ne pas se souvenir d’avoir demandé à l’accusée si elle avait un avocat avec lequel elle aimerait communiquer.

Il ajoute également, dans son témoignage, qu’il a communiqué avec l’Aide juridique « sans raison particulière » parce que l’accusée ne lui a pas fait mention d’un avocat en particulier.

Une fois rendue au poste de la SQ, deux échantillons d’haleine ont été prélevés.

L’accusée, lors de son témoignage à la Cour, indique que l’agent frontalier qui l’a mise en état d’arrestation lui a lu une carte. Suite à cette lecture, elle demande à communiquer avec un avocat. L’agent lui indique alors qu’elle ne peut communiquer « tout de suite » avec un avocat.

Elle témoigne à l’effet qu’elle connaissait une avocate mais qu’elle n’avait pas accès à son téléphone et que l’agent ne lui a jamais demandé si elle désirait communiquer avec un avocat spécifique.

« À aucun moment l’agent ne lui a demandé si elle connaissait un avocat et elle n’a jamais eu l’occasion de transmettre le nom de l’avocate avec laquelle elle aurait aimé s’entretenir. »

Étant à sa première arrestation, l’accusée indique à la Cour qu’elle « était en état de choc et n’osait pas intervenir, elle ne faisait que suivre les consignes. »

Questions en litige

La position de la défense dans cette cause est à l’effet que l’accusée n’a pu avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et qu’elle n’a pu consulter l’avocat de son choix, n’ayant jamais été informé par l’agent frontalier qu’elle pouvait consulter l’avocat de son choix. Par conséquent, elle demande à la Cour d’exclure les résultats d’alcoolémie (certificat du technicien qualifié) obtenus suite à la violation de ses droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés.

Analyse par le Juge

Comme le Juge l’indique au paragraphe 38 de son jugement : « L’objet de ce droit fondamental a été précisé par la Cour suprême il y a longtemps, entre autres, par le juge Lamer dans Bartle :
16. L’objet du droit à l’assistance d’un avocat que garantit l’al. 10b) de la Charte est de donner à la personne détenue la possibilité d’être informée des droits et des obligations que la loi lui reconnaît et, ce qui est plus important, d’obtenir des conseils sur la façon d’exercer ces droits et de remplir ces obligations : R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233, aux pp. 1242 et 1243. Cette possibilité lui est donnée, parce que, étant détenue par les représentants de l’État, elle est désavantagée par rapport à l’État. Non seulement elle a été privée de sa liberté, mais encore elle risque de s’incriminer. Par conséquent, la personne « détenue » au sens de l’art. 10 de la Charte a immédiatement besoin de conseils juridiques, afin de protéger son droit de ne pas s’incriminer et d’obtenir une aide pour recouvrer sa liberté : Brydges, à la p. 206; R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, aux pp. 176 et 177; et Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236. L’alinéa 10b) habilite la personne détenue à recourir de plein droit à l’assistance d’un avocat « sans délai » et sur demande. Comme l’a dit notre Cour dans l’arrêt Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383, à la p. 394, le droit à l’assistance d’un avocat prévu à l’al. 10b) vise à assurer le traitement équitable dans le processus pénal des personnes arrêtées ou détenues. »

La jurisprudence est claire quant aux devoirs et obligations des policiers relativement au droit à l’avocat.

Tel qu’énoncé au paragraphe 39 du jugement : « Il est bien établi depuis par la jurisprudence que ce droit constitutionnel doit être exécuté « sans délai » et impose aux policiers les devoirs et obligations suivants :

– Devoir d’information : À l’assistance d’un avocat dans les meilleurs délais, soit celui de son choix, de l’Aide juridique ou d’un service de garde.
– Devoir de mise en application : Un policier doit donner une possibilité raisonnable et faciliter l’exécution pour la personne détenue de consulter un avocat.
– Devoir d’abstention : Un policier ne doit pas tenter d’interroger ou de soutirer des éléments de preuve avant l’exercice du droit. »

Le juge Vanchestein conclut, suite à la preuve présentée dans la présente affaire, que la « mise en exécution » du droit à l’avocat était déficiente tant au sujet du délai avant la possibilité de consulter un avocat que la possibilité de consulter l’avocat du choix de l’accusée.

D’avoir recours à un avocat sans délai

Après avoir procédé à la lecture des droits de l’accusée, l’agent frontalier, « au lieu de s’empresser de mettre en oeuvre le droit de la requérante qui est détenue, procède à un certain nombre de tâches administratives suscitant plusieurs questions. »

Il « procède à un inventaire des effets personnels, fait faire une fouille par palpations et transfère la requérante dans une salle de détention, où visiblement il n’y a pas de téléphone, puisqu’elle devra être déplacée à nouveau dans une salle où se trouve un appareil pour communiquer avec l’avocat de l’Aide juridique.

Par la suite, il ne trouve rien de mieux à faire que de procéder à un compte rendu à son surintendant, communiquer avec la Sûreté du Québec et finalement d’appeler l’avocat de l’Aide juridique. » (paragraphes 43-44 du jugement)

Le juge ajoute également « Même si ces procédures devaient se tenir, il n’y avait pas urgence, alors que la requérante a plutôt un droit constitutionnel à communiquer immédiatement avec un avocat pour connaître ses droits et comprendre sa situation sur le plan juridique. »

« Si ces procédures administratives devaient être exécutées, il aurait été facile à un collègue de commencer à mettre en branle le droit à l’avocat» (paragraphe 48)

« Pour le Tribunal, toutes ces tâches administratives dont celles de faire un rapport à son surintendant et communiquer avec la SQ, auraient pu être exécutées par d’autres collègues ou attendre simplement que l’exercice du droit à l’avocat soit complété. » (paragraphe 49)

Le juge considère donc qu’il y a atteinte au droit constitutionnel de l’accusée de recourir, sans délai, avec un avocat.

L’avocat de son choix

Le juge indique dans son jugement qu’il considère le témoignage de l’accusée crédible et fiable « dans son entièreté », contrairement aux faits relatés par l’agent frontalier.

Il ajoute au paragraphe 53 : « Celui-ci a, de toute évidence, de grandes difficultés de compréhension avec son devoir à l’égard du droit à l’avocat d’une personne détenue. »

Le juge rappelle également que le témoignage de l’agent était à l’effet qu’il « ne peut affirmer avoir demandé à la requérante si elle souhaitait communiquer avec un avocat en particulier. »

Le juge ajoute que « la version de la requérante à ce sujet est claire et précise : l’agent ne lui a jamais demandé si elle souhaitait communiquer avec un avocat en particulier car, si tel avait été le cas, elle avait les coordonnées d’une avocate avec qui elle aurait immédiatement communiqué. »

« Il est très compréhensible pour une personne comme la requérante, qui se retrouve pour la première fois dans ce type de situation, vouloir tout simplement se conformer à toutes les consignes qu’on lui donnait. » (paragraphe 56 du jugement)

Pour ce qui est du droit à l’avocat de son choix, le juge conclut qu’il «y a une atteinte grave au droit de la requérante à avoir recours à l’assistance de l’avocat de son choix, car il n’y a même pas eu une demande à ce sujet. »

« Ce n’était pas à cette dernière à manifester ce choix avant qu’elle soit placée dans une situation pour exercer son droit. De plus, la carte qui lui a été lue contient plusieurs informations diverses, le droit à l’assistance d’un avocat, des numéros de téléphone, l’ordre de fournir un échantillon d’haleine, les conséquences d’un refus, etc. » (paragraphe 59)

Dès que l’accusée indique à l’agent qu’elle désire communiquer avec un avocat, c’est à l’agent qui a procédé à l’arrestation de s’assurer de la mise en application du droit à l’avocate.

Le juge conclut donc à une autre violation du droit à l’avocat, soit le droit à l’avocat de son choix.

Exclusion de la preuve obtenue suite aux violations en vertu de la Charte

Une fois que le juge détermine qu’il y a eu violation du droit à l’avocat contrairement à la Charte canadienne des droits et libertés, il doit décider s’il exclut ou non la preuve des tests d’alcoolémie (certificat du technicien qualifié).

Pour ce faire, il doit faire une analyse basée sur les critères énoncés dans l’arrêt Grant de la Cour suprême du Canada.

Gravité de la conduite de l’État

« En ce qui concerne le premier critère, le Tribunal considère que la gravité de la conduite de l’État a porté une atteinte importante au droit constitutionnel de la requérante. » (paragraphe 62)

Le juge conclut que l’agent « ne peut prétendre à de la bonne foi, car il y a une négligence évidente et importante dans l’administration de ses devoirs en matière d’assistance à l’avocat. »

« Le délai écoulé et l’absence de possibilité réelle offerte à la requérante pour le choix de son avocat, sont des atteintes manifestes et importantes qui ont été subordonnées à des préoccupations administratives de l’agent.

Pour le Tribunal, l’attitude de l’agent dans le cadre de ses devoirs constitue une violation flagrante de ce droit et non pas une simple violation de nature technique, même si la requérante a communiqué avec un avocat de l’Aide juridique.

On ne saurait tabler sur ce fait pour bafouer un droit fondamental tel que celui de pouvoir consulter sans délai l’avocat de son choix.

Comme le mentionne mon collègue le juge Pierre Bélisle dans R. c. Pinard :
[38] La violation du droit du requérant de consulter l’avocat de son choix est sérieuse. Le fait d’avoir consulté l’Aide juridique n’y change rien. Sa renonciation n’était ni éclairée ni valide.» (paragraphes 64 à 67 inclusivement)

« En ce qui concerne l’incidence de l’atteinte sur le droit garanti par la Charte, je fais miens les propos du juge Bélisle, toujours dans Pinard qui mentionne ce qui suit :

[42] (…) il s’agit d’une violation sérieuse qui porte « atteinte au privilège de non-incrimination et au principe de l’équité du processus décisionnel » (…).
[43] Comme le souligne la juge Bourque de la Cour supérieure du Québec, dans R. c. Gaétani, 2015 QCCS 4226, au paragr. 71, « le courant fortement majoritaire de la jurisprudence veut qu’en cas de violation de l’alinéa 10 b) de la Charte […], la preuve auto-incriminante obtenue en violation du droit constitutionnel de l’accusé soit exclue ». Dans cette affaire, il était question de l’ADA, mais le même raisonnement peut s’appliquer ici par analogie. »
(paragraphe 69)

Le juge conclut , au paragraphe 72 de son jugement, que «la mise en balance de tous les critères amène le Tribunal à conclure à l’exclusion de la preuve, vu l’importance fondamentale du droit à l’assistance d’un avocat pour toute personne détenue et le peu de considération accordée à celui-ci par l’agent pour la mise en oeuvre effective de ce droit. Les tribunaux ne peuvent s’associer à ce comportement qui déconsidère l’administration de la justice. »

Le juge accueille donc la requête en exclusion de la preuve vu qu’il y a eu atteinte au droit constitutionnel de l’accusée et ordonne, par conséquent, l’exclusion du certificat du technicien qualifié (tests d’alcoolémie).

Réf: R. c. Jacob 455-01-015537-172

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